Appel à la décroissance

APPEL À LA DÉCROISSANCE

De Serge Toussaint, Grand Maître de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix

Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour en appeler à la « décroissance ». Le plus souvent, cet appel provient de philosophes, de sociologues, d’anthropologues et d’écologistes ayant en commun de s’inquiéter pour la planète et la vie de ses habitants à moyen, voire à court terme. Infiniment plus rares sont les financiers, les économistes et les politiciens qui s’en font l’écho ; pour la grande majorité d’entre eux, l’idée même de décroissance est une ineptie qui va à l’encontre de l’intérêt général. En sont-ils vraiment convaincus, ou feignent-ils de l’être pour des raisons n’ayant en réalité rien d’humaniste ? Eux seuls le savent, si ce n’est en leur âme, du moins en leur conscience.

Des études impartiales ont montré que si les pays développés persistent dans le modèle économique actuel, et si ceux qui sont en voie de développement s’y conforment, notre planète n’y résistera pas et deviendra invivable avant la fin de ce XXIe siècle. Comme vous le savez certainement, il a été établi que durant l’année 2018, l’humanité a consommé en huit mois l’ensemble des ressources que la Terre peut produire en un an pour permettre à ses habitants de s’alimenter, de se loger, de se vêtir, de se déplacer, etc. Dans le même ordre d’idée, on estime qu’il faudrait aujourd’hui l’équivalent de 1,7 Terre pour subvenir à leurs exigences. Ce sont bien sûr les pays les plus développés qui portent la plus grande part de responsabilité de cette situation. Malheureusement, ce sont aussi les plus obnubilés par la notion de « croissance », au point que leurs gouvernements en ont quasiment fait un dogme.

Le problème de la surpopulation…

Puisque je viens d’évoquer les ressources de notre planète, comment ne pas s’inquiéter du problème que pose la surpopulation ? Nous sommes actuellement 7,5 milliards d’habitants sur la Terre, et on évalue à 8,5 milliards sa population en 2030. Or, elle peine déjà à répondre aux besoins vitaux des populations, en particulier pour la nourriture et l’accès à l’eau potable. La situation ne peut donc qu’empirer, notamment si nous poursuivons notre course à la consommation. Vous noterez également que la plupart des pays pauvres sont surpeuplés, ce qui ne fait qu’accroître la paupérisation de leurs habitants. Hélas, rien de vraiment sérieux n’est fait sur un plan international pour remédier à la situation, de sorte que nous laissons croître de façon exponentielle le nombre d’êtres humains condamnés à être malheureux. Il devient donc urgent, y compris sur le plan de la population mondiale, de stabiliser, voire de décroître, ce qui suppose la mise en place de programmes de sensibilisation, d’information et d’éducation, ce que l’Ordre de la Rose-Croix préconisait déjà dans la « Positio F.R.C. », Manifeste qu’il publia sur un plan mondial en 2001.

Pourquoi la « croissance » est-elle un dogme dans les pays développés ? Parce que la plupart des politiciens et des économistes qui les conseillent sont convaincus que le bien-être des citoyens est fondé sur une bonne économie, et qu’une bonne économie est fondée sur la consommation. En vertu de ce principe, on fait en sorte que la population consomme toujours plus, de manière à accroître la production, ou, ce qui revient au même, on accroît la production tout en faisant en sorte que la population consomme davantage. Rien n’est négligé dans ce but : crédits attractifs, promotions en tous genres, publicités quasi mensongères… Ce faisant, on conditionne les gens à rechercher le bonheur dans l’avoir et, pour nombre d’entre eux, à s’endetter au-delà du raisonnable. Par ailleurs, on en fait des consommateurs perpétuellement insatisfaits, car il n’y a pas de limite au désir de posséder.

Le système économique actuel me semble aberrant pour au moins deux raisons : en premier lieu, les personnes qui ont les moyens de consommer ne peuvent le faire au-delà de certaines limites (elles ne vont pas manger dix fois par jour, porter sur elles cinq couches de vêtements, acheter trois machines à laver, etc.). Quant à celles qui n’en ont pas les moyens, elles participent peu à l’économie, mais en subissent les effets les plus pervers. En second lieu, inciter à la consommation comme on le fait actuellement privilégie, non seulement l’avoir au détriment de l’être, mais également le quantitatif au détriment du qualitatif. Par extension, cela contribue à rendre les gens de plus en plus matérialistes, enclins à se procurer toujours plus de biens matériels et à satisfaire des désirs et des besoins de plus en plus artificiels. C’est ce qui a lieu de nos jours dans les pays développés, tant le consumérisme est devenu culturel.

En caricaturant quelque peu, nous pouvons dire que dans la plupart des pays, développés comme en voie de développement, les consommateurs se divisent en deux grandes catégories : ceux qui ont les moyens de consommer et ceux qui ne les ont pas. Plutôt que d’inciter les premiers à consommer toujours plus et à faire de l’avoir l’idéal de leur vie, on devrait leur apprendre à consommer raisonnablement et à donner dans ce domaine l’exemple de la modération. Cela suppose dans leur cas d’opter pour une décroissance de leur consommation. En ce qui concerne les seconds, il faudrait naturellement faire en sorte qu’ils puissent se procurer ce qui leur est nécessaire pour vivre confortablement sur le plan matériel, sans tomber dans le consumérisme. C’est là, me semble-t-il, le véritable enjeu de l’économie.

Je pense également que l’on devrait revoir totalement le concept de production. De nos jours, on produit pour produire, afin de maintenir les emplois. Dans de nombreux domaines, il y a même surproduction, en ce sens que l’on sait parfaitement que tous les articles fabriqués, pour beaucoup à la chaîne et au moyen de robots de plus en plus sophistiqués, ne seront jamais achetés et constituent des stocks qui ne cessent de croître dans des proportions déraisonnables. C’est le cas, par exemple, dans l’électroménager, l’ameublement, l’habillement, etc., sans parler de l’alimentation, où l’on s’autorise un gaspillage véritablement indécent (chaque année, des millions de tonnes de viande périmée sont incinérées), alors que tant de personnes ne mangent pas à leur faim. Que dire aussi des millions d’animaux ainsi sacrifiés inutilement ?

« Réhumaniser la production »

De mon point de vue, il devient urgent de moins produire, mais de produire mieux, c’est-à-dire de (re)mettre l’homme au centre de la production et de faire en sorte que celle-ci respecte, non seulement la personne humaine, mais également l’environnement. Cela suppose de mettre fin au machinisme excessif qui sévit dans les pays développés et qui s’instaure dans les pays en voie de développement. Il me semble évident également que le fait de “démachiniser” la production et de la réhumaniser entraînerait la création de nombreux emplois dans les secteurs qui existent actuellement, sans parler de ceux qui pourraient être créés en relation avec l’écologie. Là aussi, cela implique de freiner la robotisation de la société, car la technologie devrait avoir pour vocation d’aider l’homme dans les tâches les plus pénibles, mais pas de le remplacer systématiquement.

Un autre point lié à la consommation me semble important : un dicton populaire énonce qu’« il faut vivre selon ses moyens », ce qui sous-entend de ne pas s’endetter au-delà de ce que l’on est capable d’assumer financièrement. Or, combien de personnes s’achètent des produits, des objets et des bijoux de luxe, des équipements et des vêtements de marque, des voitures hyperpuissantes et suréquipées, alors qu’elles n’en ont pas les moyens ? Ceci est d’autant plus regrettable que de telles acquisitions ne sont en aucun cas indispensables pour être heureux. Cela étant, je pense également qu’il faut vivre selon ses besoins réels, en ce sens que même si on en a les moyens, il n’est pas nécessaire d’opter pour une grande voiture si on n’en a pas vraiment l’utilité, de faire construire une maison de vingt pièces si on sait que l’on ne sera que deux ou trois à l’habiter, de commander un yacht de soixante mètres pour une ou deux sorties en mer par an, etc. Certes, chacun est libre, et l’industrie du luxe, de l’automobile, du bâtiment, etc., sont des vecteurs d’emplois, mais cela justifie-t-il la surenchère de production et de consommation ?

« Il est grand temps de cultiver la sobriété heureuse »

Comment expliquer que nombre d’individus, qu’ils en aient ou non les moyens, aient une propension à posséder “à tout prix” ? D’une manière générale, c’est parce qu’ils se laissent dominer par leur ego, lequel les incite à attirer l’attention à travers le paraître. Tant qu’ils cèdent à cette tendance, pour ne pas dire à cette tentation, ils pensent que le fait de posséder des biens matériels conséquents et d’exhiber un “train de vie” plus que confortable, voire luxueux, leur vaut le respect et l’admiration d’autrui. Ils se trompent, car les autres les voient tels qu’ils sont, au-delà même des apparences. En fait, ils suscitent plutôt l’envie, la jalousie et la suspicion. J’ajouterai une évidence : avoir beaucoup d’argent et vivre dans le luxe n’est en aucun cas un gage de bien-être et de bonheur ; ce qui l’est, c’est la richesse intérieure, c’est-à-dire l’aptitude à vivre en harmonie avec soi-même, les autres et la nature, ce que les Rose-Croix s’évertuent à faire au quotidien.

En dernière analyse, il y a deux bonnes raisons d’opter pour la décroissance : en premier lieu, il en va de la vie sur notre planète et, par conséquent, de la survie de l’humanité. Ce n’est pas là une prédiction de mauvaise augure ni une prophétie apocalyptique ; c’est une certitude confirmée par la communauté scientifique internationale. En second lieu, les faits prouvent que la croissance, en tant que vecteur du consumérisme, exacerbe ce qu’il y a de moins noble dans la nature humaine, notamment le désir de posséder au détriment des autres, de les dominer, de les exploiter, de s’approprier leurs biens, de les exclure… En termes rosicruciens, cela les éloigne de leur âme et des vertus qui lui sont propres, telles que la bienveillance, la générosité, l’altruisme, l’empathie, la compassion… En cela, j’irai jusqu’à dire que dans les pays développés, il devient urgent de décroître sur le plan matériel pour mieux croître sur le plan spirituel.

Assurément, l’humanité est à la croisée des chemins. Les pays développés doivent rompre avec ce dogme qu’est la « croissance » et cette approche consumériste de l’économie, et les pays en voie de développement doivent avoir la sagesse de ne plus (pas) se sentir obligés de suivre ce “modèle” économique. Pour reprendre les termes de Pierre Rabhi, il est grand temps de cultiver la « sobriété heureuse ». Cela nécessite un changement radical dans les comportements individuels et collectifs, mais il n’y a pas d’alternative si nous voulons sauver notre planète et faire en sorte que les générations futures n’aient pas à souffrir de notre inconséquence. La question que chacun doit se poser est celle-ci : quel monde souhaitons-nous léguer aux enfants d’aujourd’hui et de demain ? Comme l’a déclaré à juste titre Nicolas Vanier : « Ne rien faire pour remédier à la situation s’apparente à un crime contre l’humanité. »

Si vous partagez les idées exprimées dans cet « Appel à la décroissance », je vous invite à le relayer et à prendre vis-à-vis de vous-même l’engagement suivant : « Face à ma conscience, je m’engage à faire mon possible pour consommer raisonnablement et ne pas être un agent du consumérisme ambiant. Je me promets également d’être attentif à l’impact que mes choix de vie ont sur les autres et sur l’environnement. »

Dans le respect des autres et de notre planète,

Avec mes meilleurs pensées.

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