Appel à bien vivre ensemble

« Les hommes ont un défi majeur à relever : celui de savoir vivre ensemble. Le surhomme n’est pas celui qui est le plus fort, le plus puissant ; c’est l’ensemble des hommes. »

Albert Jacquart (1925-2013)

Il est courant d’entendre dire et de lire qu’il faut favoriser le « vivre ensemble ». Cette formule est devenue si courante qu’elle tient lieu d’incantation, sans que rien ne change vraiment dans les comportements. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas explicite. En effet, que veut dire « vivre ensemble » ? Qu’on le veuille ou non, dès lors que nous vivons en société, il est un fait que nous vivons ensemble, en ce sens que nous formons une communauté dont chaque membre coexiste avec les autres. Du plus petit village à la plus grande métropole, seul varie le nombre de personnes qui constituent cette communauté et la font vivre.

Le « bien vivre ensemble »

De mon point de vue, ce n’est pas le « vivre ensemble » qu’il faut favoriser, mais le « bien vivre ensemble ». Or, sans être pessimiste ou décliniste, vous conviendrez certainement que nous vivons plutôt mal ensemble. La plupart des sociologues s’accordent d’ailleurs à dire que les mœurs, en particulier sur le plan relationnel, se sont beaucoup dégradées au cours des dernières décennies : dans tous les pays, les gens sont devenus plus agressifs les uns envers les autres, plus intolérants dans tous les domaines, plus impatients dans la vie courante, moins respectueux des personnes comme des biens, plus exigeants envers ceux et celles qu’ils estiment être « à leur service ». De toute évidence, un tel constat est inquiétant.

À quoi attribuer cette dérive des mœurs ? Les causes en sont multiples, mais la principale, me semble-t-il, est due au fait que la société est devenue beaucoup trop individualiste, dans la mesure où elle conditionne les citoyens à privilégier leur intérêt personnel, souvent au détriment de celui d’autrui. Parallèlement, les réseaux sociaux, sans nier ce qu’ils peuvent avoir d’utile et de positif, exacerbent les tendances les plus négatives de l’ego et incitent à se distinguer des autres : c’est à qui se fera le plus remarquer sur la “toile” en n’hésitant pas à se montrer vindicatif et malveillant à l’égard d’autrui. Pour s’en convaincre, il suffit de constater sur Internet le niveau d’agressivité et de sectarisme dans la plupart des forums.

Pour ce qui est de l’agressivité, elle est “palpable” au quotidien : si l’on tarde à démarrer quand le feu passe au vert, c’est le coup de klaxon assuré ; s’il faut patienter dans une file d’attente, c’est à qui cherchera à doubler l’autre ; si l’on ose exprimer un désaccord sur un sujet quelconque, on prend le risque de se faire invectiver ; lorsque vient le moment des soldes dans les grands magasins, c’est la ruée et la “foire d’empoigne” etc. Dans nombre de situations, les gens se montrent agressifs les uns envers les autres, comme si leur survie en dépendait. Et mal- heureusement, ce phénomène ne concerne pas que les adultes ; comme chacun sait, il touche également les enfants, comme en témoignent les harcèlements et autres formes d’animosité qui se manifestent entre eux, et ce depuis le plus jeune âge. Ceci ne peut nous étonner, car ils baignent dans une culture de la violence et en sont les premières victimes.

Une culture de la violence

En quoi les enfants « baignent-ils dans une culture de la violence » ? En premier lieu, ils subissent l’agressivité qui s’exprime chaque jour à travers les adultes, que ce soit au sein de la famille ou dans leur environnement social. En second lieu, ils sont exposés à la violence qui s’affiche à travers nombre de films diffusés à la télévision et au cinéma, sans parler de celle qui est mise en scène dans la plupart des jeux vidéos. En troisième lieu, de plus en plus d’enfants ont accès à Internet et à des contenus qui exaltent ce qu’il y a de plus avilissant dans les comportements humains : violence physique et psychologique, pornographie, dérive comportementale, etc. Dès lors, comment s’étonner qu’à l’adolescence, puis devenus adultes, ils se montrent eux- mêmes agressifs et vindicatifs dans leur façon de se conduire en société ?

Pour ce qui est du sectarisme auquel j’ai fait allusion précédemment, on constate là aussi qu’il est devenu courant dans les comportements. Tous les domaines de l’activité humaine sont concernés : la politique, la religion, l’économie, le sociétal… On constate que les gens sont devenus incapables d’échanger paisiblement leurs idées, leurs points de vue, leurs opinions ; ils les imposent avec véhémence et arrogance. Et si on a le malheur de ne pas les partager, on s’expose à des insultes. C’est là une attitude sectaire, car ceux et celles qui se comportent ainsi font preuve de dogmatisme et d’intolérance. Ce phénomène est particulièrement évident sur Internet, où l’invective tient souvent lieu d’argument. C’est aussi le lieu où chacun s’improvise spécialiste en tout domaine et assène, non pas sa vérité, mais ce qu’il considère comme étant La vérité. C’est ce qui explique notamment pourquoi Internet est autant une source d’information que de désinformation.

Tolérance et respect

Deux choses me semblent essentielles pour bien vivre ensemble : la tolérance et le respect. Être tolérant, c’est accepter que les autres puissent avoir des opinions, des croyances ou des convictions différentes des nôtres, voire opposées, et puissent les exprimer librement et de préférence paisiblement. Cela suppose d’avoir conscience que nous ne détenons la vérité dans aucun domaine et que nous sommes susceptibles de nous tromper et d’avoir tort. Une telle démarche nécessite humilité et intégrité, deux vertus majeures que tout individu devrait avoir à cœur de cultiver. Être respectueux, c’est voir en l’autre une extension de nous-même et ne pas lui faire ce que l’on ne voudrait pas qu’il nous fasse. C’est aussi faire sien ce principe que Socrate enseignait à ses disciples : « On est respecté dans la mesure même que l’on respecte autrui ». Pour bien vivre ensemble, il est donc essentiel de ne pas voir l’autre comme un opposant, un agresseur, voire un ennemi potentiel, mais comme l’un de nos semblables, une personne, qui, comme nous-même, cherche à se faire comprendre, à se faire entendre, à se faire, sinon aimer, du moins considérer.

En dernière analyse, le « bien vivre ensemble » est fondé sur l’aptitude de chacun à exprimer le meilleur de lui-même à travers son comportement. Il est évident que si tout être humain s’évertuait à être bienveillant dans la vie quotidienne, le climat social serait apaisé, alors que de nos jours, il est conflictuel dans quasiment tous les pays du monde. Cela ne veut pas dire que tout irait pour le mieux, car de nombreux problèmes restent à régler : les inégalités flagrantes sur le plan social, les discriminations raciales, culturelles et autres, les injustices en tous genres, les nombreuses formes de corruption etc., sans oublier l’état très préoccupant de la planète. Mais si ces problèmes étaient traités dans un esprit de tolérance et de respect mutuel, vous conviendrez certainement que cela favoriserait l’émergence de solutions et de décisions qui privilégieraient le bien commun et l’intérêt général.

Si vous partagez les idées exprimées dans cet « appel à bien vivre ensemble », je vous invite, non seulement à le faire connaître, mais également à prendre vis à vis de vous-même l’engagement suivant : « Souhaitant contribuer au bien vivre ensemble, je m’engage à faire de mon mieux pour me montrer tolérant et respectueux dans mes relations avec autrui ».

Avec mes meilleures pensées.

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