L’Ordre de la Rose-Croix adhère-t-il à la notion d’utopie ?

Une définition de l’utopie

Dans la plupart des livres de référence, le mot « utopie » est défini comme « une société idéale mais imaginaire, telle que la conçoit et la décrit un auteur donné », ou encore comme « un projet social dont la réalisation est impossible ». Au cours des siècles passés, nombre de philosophes et de penseurs ont imaginé des utopies et décrit la société idéale, telle qu’ils la concevaient. Parmi eux, citons notamment Homère, Plutarque, Ovide, Virgile, saint Augustin, Platon, Thomas More, Campanella, Rabelais, Jean Valentin Andreae, Francis Bacon, John Harrington, Voltaire, Charles Fournier, Aldous Huxley, etc. D’une manière générale, les utopies se classent en trois catégories : les utopies à connotation religieuse, les utopies à connotation politique, et les utopies à connotation philosophique.

Francis Bacon (1561-1626), éminent Rose-Croix du XVIIe siècle, imagina une utopie intitulée « La Nouvelle Atlantide ».

Les différentes sortes d’utopies

Pour des raisons compréhensibles, les utopies religieuses reflètent les croyances de l’auteur, lesquelles diffèrent selon qu’il est Chrétien, Juif, Musulman, etc. À titre d’exemple, l’utopie de Jean Valentin Andreae, intitulée « Reipublicae christianopolitanae descriptio », publiée en 1619, partait du principe que la société idéale devait avoir pour fondement la doctrine et la morale chrétiennes. Comme leur nom l’indique, les utopies politiques en ont une approche politique, sinon idéologique. En règle générale, elles sont plutôt matérialistes, à l’image du « marxisme », du nom de Karl Marx, son fondateur. Quant aux utopies philosophiques, elles sont généralement spiritualistes ou agnostiques. Dans le premier cas, elles tiennent pour une évidence l’existence de Dieu et de l’âme humaine, mais sont dénuées de tout dogme. Dans le second cas, elles font appel à ce qu’il y a de meilleur en l’homme, sans allusion à la présence en lui d’une âme, et à fortiori sans référence à Dieu. En cela, nous pouvons dire qu’elles sont humanistes.

Les utopies philosophiques de type spiritualiste

Au regard des remarques précédentes, les utopies religieuses ont souvent l’inconvénient de privilégier la doctrine et la morale d’une religion particulière. De ce fait, elles sont généralement rejetées par ceux et celles qui suivent un autre credo. Dans certains cas, elles sont dogmatiques, voire intégristes. De leur côté, la plupart des utopies politiques sont marquées par une idéologie partisane, de sorte qu’elles nourrissent des clivages entre les citoyens, avec tout ce qui en résulte en termes d’oppositions et de conflits. Pire encore, elles sont parfois totalitaires. D’un point de vue rosicrucien, ce sont les utopies philosophiques de type spiritualiste qui présentent le plus d’intérêt, car elles ne sont généralement ni dogmatiques, ni partisanes, ni exclusives. Autrement dit, elles ne sont l’expression, ni d’un credo religieux particulier, ni d’une idéologie politique précise. Cela suppose que l’utopie idéale est celle qui peut rassembler tous les hommes autour d’un même projet de société, et ce, indépendamment de leur race, de leur nationalité, de leurs croyances religieuses, de leurs opinions politiques, de leur classe sociale, etc.

L’utopie rosicrucienne

Étant donné qu’une utopie se rapporte généralement à une société idéale dont la réalisation est impossible a priori, on peut se demander en quoi elle est utile. En fait, tout dépend de son contenu : si les principes sur lesquels elle repose sont véritablement humanistes et visent réellement le bonheur de tous, elle est alors un vecteur d’espérance et cultive l’idée qu’il est possible de créer un monde meilleur. Si en plus elle incite tout individu à se parfaire sur le plan individuel, elle contribue parallèlement à l’élévation des consciences, ce qui devrait être le but de tout projet de société. Vue sous cet angle, la valeur d’une utopie réside autant dans la noblesse des idéaux qu’elle porte en elle que dans le fait de savoir s’il est possible ou non de la réaliser, ce qui fit dire à Platon : « L’utopie est la société idéale. Peut-être est-il impossible de la réaliser sur Terre, mais c’est en elle qu’un sage doit placer tous ses espoirs ».

Il y a quelques années, l’Ordre de la Rose-Croix a publié un texte intitulé «Utopie rosicrucienne».

La « Positio Fraternitatis Rosae Crucis »

En 2001, l’A.M.O.R.C. a publié un Manifeste dans lequel ses dirigeants donnent leur position sur la situation générale du monde, d’où son titre « Positio Fraternitatis Rosae-Crucis ». Ce Manifeste, qui a été traduit en une vingtaine de langues, se termine par une utopie dont les auteurs ont donc des nationalités, des opinions politiques, des croyances religieuses et des cultures différentes. Si, au-delà de ces différences, ils se sont accordés sur une même vision de la société idéale, c’est précisément parce que la philosophie rosicrucienne porte en elle un désir d’universalité qui privilégie l’unité dans la diversité. Voici le texte de cette utopie :

«Dieu de tous les hommes, Dieu de toute vie, dans l’humanité dont nous rêvons :
Les politiciens sont profondément humanistes et œuvrent au service du bien commun.
Les économistes gèrent les finances des États avec discernement et dans l’intérêt de tous.
Les savants sont spiritualistes et cherchent leur inspiration dans le Livre de la Nature.
Les artistes sont inspirés et expriment dans leurs œuvres la beauté et la pureté du Plan divin.
Les médecins sont animés par l’amour de leur prochain et soignent aussi bien les âmes que les corps.
Il n’y a plus de misère ni de pauvreté, car chacun a ce dont il a besoin pour vivre heureux.
Le travail n’est pas vécu comme une contrainte, mais comme une source d’épanouissement et de bien-être.
La nature est considérée comme le plus beau des temples et les animaux comme nos frères en voie d’évolution.
Il existe un Gouvernement mondial formé par les dirigeants de toutes les nations, œuvrant dans l’intérêt de toute l’humanité.
La spiritualité est un idéal et un mode de vie qui prennent leur source dans une Religion universelle, basée davantage sur la connaissance des lois divines que sur la croyance en Dieu.
Les relations humaines sont fondées sur l’amour, l’amitié et la fraternité, de sorte que le monde entier vit dans la paix et l’harmonie. »

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Cet article a 15 commentaires

  1. bolcato

    Il est constructif de visualiser le monde idéal de manière à semer les graines de sa réalisation !!

  2. esther melèdje

    Goethe a dit je cite : « Whatever you dream, you can begin and do it ». Ce qui se traduit par, quelque soit le rêve de choses intéressantes pour le plus grand nombre que caresse notre esprit, nous sommes capables de le faire commencer à prendre vie et de le réaliser. Le texte proposé dans l’Utopie rosicrucienne offre à l’humanité la possibilité par sa volonté soutenue (pensées positives sans se lasser, dans le sens de cette proposition), mais surtout par ses actions adéquates, de concrétiser un tel rêve. Le chemin pour y parvenir semble long mais le simple fait d’y croire en y associant les bons choix, la constance et la persévérance donnera jour aux « attentes » de l’humanité. esther melèdje

  3. Louise F.

    L’utopie nous est nécessaire pour nous faire avancer vers un changement positif, un changement humaniste et un changement rempli d’espoir en un monde meilleur. À mon sens, l’utopie est essentielle pour atteindre la noblesse de nos pensées, de nos paroles et de nos actions en un état idéal et en une humanité spiritualiste. Soyons des citoyens du monde et participons activement et avec confiance à la naissance d’une Terre peuplée d’êtres responsables envers tous les êtres vivants.

  4. esther melèdje

    A propos de l’utopie selon Goethe je cite : « Whatever you can dream, you can begin it ».

  5. Anne-Marie K

    L’utopie, est-elle une lumière dans quelques ténèbres ? Fait-elle l’objet d’un rêve visionnaire ? Nous montre-t’-elle un idéal à poursuivre ?
    Il est vrai que l’utopie peut trouver sa source dans une inspiration ou dans notre imagination comme le chantait déjà John Lennon dans son album « Imagine ».
    Dans sa version la plus noble, elle tente de concevoir un monde meilleur, ce qu’en principe nous voulons tous. Cette vision est projetée dans un futur non défini : elle semble être inaccessible et nourrit en même temps nos espoirs. Elle émet une idée ou un concept qui semble, vraisemblablement, quasi ou tout à fait impossible à réaliser en raison et sous prétexte de notre champ d’action et de nos moyens actuels, etc. Et pourtant … Dans le passé elle était plus ou moins l’œuvre d’une personne. De nos jours, elle peut également être conçue par plusieurs personnes ou un groupe réuni à cet effet. Toutefois, son élaboration est souvent assujettie aux influences les plus diverses, qu’elles soient démographiques, socio-culturelles, religieuses, personnelles ou autres. Ainsi dans le cadre d’une utopie bénéfique pour tous et chacun et en respectant toujours le libre arbitre, tel concept sera développé à partir de principes réellement humanistes et bienveillantes, avec sagesse, en harmonie avec les lois cosmiques et naturelles, et aussi avec compétence sinon avec un esprit ouvert aussi bien aux réflexions linéaires que non-linéaires.
    Je suis convaincue qu’une utopie n’est pas si impossible à réaliser, car chaque idée peut se matérialiser, donc aussi celle de l’utopie, à partir de la visualisation, l’intériorisation, la projection… Sa réalisation reste un travail individuel et collectif.
    Comme nous le savons, nous n’obtenons rien sans efforts, dû au processus de développement auquel nous sommes tous soumis. Et n’oublions pas que Rome n’a pas été construit en un seul jour. Et puis, oui, il faut quitter nombre de vieilles habitudes, avancer avec persévérance et courage, ici je me rappelle les mots d’un sage inconnu de la Grèce antique : « Le courage des hommes est un cadeau des dieux », ce qui implique le devoir de l’utiliser et d’ouvrir la porte à nos compétences créatrices connectées à l’Intelligence Cosmique par la sagesse, la spiritualité et l’amour.
    Cordialement.

  6. Le Griot Inconnu

    L’utopie? bien qu’elle soit ramenée à l’imaginaire individuel ou collectif, peut être transformée en réalité selon que tout le monde, individuellement ou collectivement, vit ou s’efforce de vivre comme si elle était déjà une réalité. Le travail de tout un chacun ! faire que l’utopie d’une paix perpétuelle pouvant succéder à notre monde troublé devienne partie intégrante de sa vie au quotidien.

  7. Lermite

    Utopie : Société idéale (dont la réalisation est impossible) véhiculant de nobles idéaux. Si nous partons de la base, une société est un ensemble d’individus vivant en groupe organisé. Alors, tout part de l’individu. Une société véhiculera de nobles idéaux lorsqu’elle sera composée d’individus agissant de même. Pour que la société tende de plus en plus vers l’utopie, les sages qui prennent ou prendront pour tâche de l’imaginer et de la mettre en oeuvre, devront parallèlement effectuer un travail pratique visant à l’implantation de l’utopie individuelle. Je pense que le bonheur des hommes fera l’utopie qui, par la suite, pourra contribuer au bonheur de l’ensemble. En fait, nous ne pouvons imaginer l’utopie qu’en y plaçant des gens heureux, donc imaginer la société idéale tout en effectuant un travail pratique au niveau de l’individu et de son bonheur. Serait-ce donc en imaginant l’utopie que les sages ont vu la nécessité de fonder les écoles de mystères ?

  8. Le Tigre

    L’utopie : une nécessité pour atteindre des grands objectifs au profit de toute l’humanité.

  9. jean-michel

    Il est possible de créer un monde meilleur. L’utopie est une des possibilités d’y parvenir ? La positivité est la voie sur la quelle nous devons nous tenir sur le sentier de nos vies, malgré les tumultes de cette vie illusoire. Sans ce rêve de bonheur et de paix, nous ne sommes rien, si ce n’est des malheureux et des êtres en souffrances.
    Paix, joie, harmonie et bonheur etc, c’est le but que l’on peut se fixer pour sortir du labyrinthe et retrouver le paradis du cœur.

    Bien à vous

  10. BOURDON Michel

    Bonjour,
    Je vais réduire en une phrase mon sentiments sur le sujet:  » L’utopie est à la philosophie ce ce que la religion est à l’église : … Un guide…

  11. Smaragdus

    Bonjour,

    Il me semble que l’utopie nous ramène immanquablement à la notion de temps, au « carpe diem » des Anciens. En effet, dès lors que l’on considère l’imaginaire, on ne peut s’empêcher de penser à son corollaire : la mémoire. Or l’imaginaire est tout aussi important que la mémoire; l’un permettant de « s’ancrer » et l’autre de se projeter. Deux phases bien distinctes du mouvement qui caractérise, en réalité, la Vie.
    De nos jours, la mémoire et l’imaginaire sont terriblement dévoyés et mis à mal. Il suffit pour cela de voir de quelle considération sont entourées les personnes âgées, comment est enseignée l’histoire en dehors de tous repères chronologiques, à quel rythme nous « consommons » les informations et ce que nous en retenons au final… mais aussi de quelle considération sont crédités, dans le monde du travail, les élèves de série littéraire ou artitisque, à quel mercantilisme donne lieu l’imaginaire de Noël chez les enfants, la violence inouïe des « jeux » ou des films etc, etc… Les exemples ne manquent pas, hélas.
    Or la qualité de notre mémoire et la qualité de notre imaginaire déterminent singulièrement la qualité de notre présent. Car notre présent – la « fleur du jour » – dans le grand mouvement vital, ce n’est ni plus ni moins qu’un imaginaire en devenir, soutenu et enrichi par notre mémoire.
    Appauvrir, amputer ou travestir ces deux phases (stase et battement), et c’est un peu comme si notre coeur s’arrêtait de battre.

    Bien fraternellement.

  12. esther melèdje

    Si l’on ne se fait pas d’illusion, l’utopie est la voie royale pour anticiper certaines choses positives que nous voulons planifier avec certitude dans le futur, et concrétiser si la possibilité s’offre à nous.

  13. Isora

    L’homme est fait pour rêver c’est-à-dire pour combattre et non subir, avec un brin de poésie pour redonner un sens à son quotidien. Les relations humaines sont fondées sur l’amour, l’amitié et la fraternité, de sorte que le monde entier vit dans la paix et l’harmonie. C’est la vision idéale pour les rosicruciens d’une manière générale dans tous les domaines concernant le devenir de l’humanité. Il n’y a pas de grande réalisation qui n’ait été d’abord utopie. Une société sans pensée utopique est inconcevable, au sens de désir d’un mieux. En avoir une bonne en tête, vaut mieux qu’un mauvaise réalité en face de soi. C’est une volonté de modeler l’image de cette société à partir d’un idéal éthique, d’une certaine conception de la justice, du bonheur, de l’efficacité, de la responsabilité. L’avenir se construit avec des utopies et avec les rêves nous avançons, et si l’on trouve du plaisir au bonheur d’autrui, c’est peut-être avant tout parce que l’autre est nécessaire à son propre bonheur. Fraternellement.

  14. BOURDON Michel

    Doit-on interpréter le terme d’utopie d’une façon à se l’approprier ?
    Selon le sens propre, c’est une narration littéraire qui est une perfection d’une politique idéale…
    Au sens figuré, les siècles passants, les penseurs philosophes semblent vouloir détourner un idéal de pensées que l’on n’atteindra jamais, par un processus moins dur, qui, à terme, pourrait pourquoi-pas se concrétiser !
    Notre langue française est unique et si variée qu’elle est depuis longtemps une référence à travers le monde ; sans parler de langage académique qui ne se fait comprendre qu’entre les initiés, notre dictionnaire a encore (Je l’espère) de bonnes années devant lui.
    Pour revenir à mes moutons, l’utopie est devenue accessible. L’usage qui en est fait aujourd’hui est nettement moins radical. Alors, je dois certainement raisonner avec un esprit qui n’aurait pas évolué et serait resté quelques dizaines de siècles en arrière ! Pourtant, j’aime ce terme : il m’est très familier et m’aide à résoudre certains problèmes philosophiques, entre autres celui de la faim dans le monde ou de la paix sur cette belle planète que l’on est en train de transformer irrémédiablement en une planète désolée.
    L’espoir, l’espérance, reste donc les seuls qualificatifs que les humains ont pour croire en un avenir meilleur. Des générations se sont succédé, des millénaires, et l’homme n’a pratiquement pas changé… ou si peu !
    À en croire ces quelques lignes, l’on pourrait supposer que je suis défaitiste, voir très négatif ; que nenni ! Il n’en est rien et je suis par conviction profonde d’un naturel positif. Le monde est de plus en plus petit avec les moyens technologiques mis à notre disposition (La réaction sur l’homme est très lourde car il faut s’adapter de plus en plus vite), mais a-t-on demandé à l’homme une telle démesure pour qu’une minorité de nos contemporains puisse en jouir ?
    L’homme résiste et mute, d’où sa rapidité pour faire face à l’impondérable. Il me semble que l’homme veut aller très vite… mais où ? l’évolution et la création ont pris un certain temps, qui se prolonge aujourd’hui encore ; et nous sommes ceux qui donnons une impulsion aux générations futures. Si nous voulons un bel avenir pour l’homme et la planète, changeons-nous d’abord en donnant l’exemple… Et cela n’est pas utopique.

  15. Le Tigre

    L’utopie est de la plus grande nécessité. C’est un objectif qu’on fixe pour rendre meilleure la vie des hommes. Elle maintient et renforce l’espérance. Même si on ne l’atteint pas sur Terre, on peut s’en approcher par degrés successifs , ce qui met en évidence la patience, l’une des plus grandes vertus.

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