Lettre ouverte à Dieu

«La spiritualité transcende la religiosité. Autrement dit, elle ne se limite pas à croire en Dieu et à suivre un credo religieux, aussi respectable soit-il. Elle consiste plutôt à rechercher le sens profond de l’existence et à éveiller graduellement ce qu’il y a de meilleur en nous-mêmes».
Appellatio Fraternitatis Rosae Crucis (janvier 2014)

LETTRE OUVERTE À DIEU

de Serge Toussaint, Grand Maître de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix

 

Dieu,

Cela faisait longtemps que je songeais à T’adresser une lettre ouverte, mais chaque fois que je réfléchissais à l’intérêt de le faire, j’en venais à la conclusion qu’il n’y en avait pas vraiment. Mais au cours des années et des mois passés, l’intégrisme et le fanatisme religieux, en particulier à travers l’islamisme, ont plongé le monde dans l’effroi, le doute et l’inquiétude. Cela m’a décidé à T’écrire cette lettre. Certes, je sais parfaitement que Tu n’as nul besoin de me lire pour savoir ce que je pense, mais c’est là un prétexte pour partager avec d’autres des réflexions et des interrogations qui Te concernent directement ou indirectement.

Comme Tu le sais, la croyance en Toi est presque aussi ancienne que l’humanité. Très tôt, les hommes ont envisagé l’existence d’un esprit en chaque chose et en chaque être, puis celle d’un Esprit suprême à l’œuvre dans la nature et dans l’univers. À leurs yeux, cet Esprit leur était tantôt favorable, tantôt défavorable, selon Son humeur du moment. C’est pourquoi ils éprouvèrent le besoin de concevoir des rites et des rituels ayant pour but d’obtenir Ses faveurs, mais aussi Sa protection contre tout ce qui mettait leur vie en péril. Certains individus donnèrent alors le sentiment de pouvoir communiquer avec Lui et de savoir ce qu’Il voulait. Ainsi prirent naissance les premiers clergés, dont les membres étaient considérés comme des intermédiaires entre les hommes et la Divinité, telle qu’ils La concevaient.

Le Dieu des religions

Le temps a passé depuis cette lointaine époque, mais la manière dont les croyants Te conçoivent de nos jours a peu évolué. Lorsqu’on lit ce qui est dit à Ton sujet dans les Livres qualifiés de «sacrés», Tu apparais tantôt bienveillant, aimant et miséricordieux, tantôt malveillant, haineux et vengeur. Et s’il est dit dans la Genèse que Tu as créé l’homme à Ton image, il semblerait plutôt, à en juger l’histoire des hommes, que ce sont eux qui T’ont conçu à la leur. C’est ce qui expliquerait pourquoi, en Ton nom, ils ont mené tant de croisades, de conquêtes et autres campagnes destinées à imposer par la force l’idée qu’ils se faisaient de Toi : «Dieu le veut !», se serait exclamé le pape Urbain II pour justifier les croisades menées en Palestine contre les Musulmans, soi-disant parce qu’ils empêchaient les Chrétiens de se rendre au Saint-Sépulcre, lieu présumé de la crucifixion de Jésus. Et que dire de l’Inquisition ?

Le Judaïsme n’est pas exempt de massacres menés en Ton nom ou à Ta demande. À titre d’exemple, si l’on en croit l’Ancien Testament, c’est Toi qui aurait ordonné aux Juifs de l’époque de conquérir Canaan par le sang, afin qu’ils puissent s’établir au «pays ruisselant de lait et de miel» : «Josué conquit tout le pays ; il ne laissa aucun survivant. Il frappa d’anathème tout ce qui respirait, comme l’avait ordonné le Seigneur, le Dieu d’Israël» (Jos 10:40). Dans le même ordre d’idée, on prétend également que c’est Toi qui, au XIIIe siècle, commanda l’invasion des Indes par les Musulmans, lesquels se livrèrent à des massacres de grande ampleur, sans parler de la destruction de nombreux temples hindous. En fait, l’histoire est jalonnée de guerres de religion, plus étendues et meurtrières les unes que les autres. Même le Bouddhisme a généré malgré lui des comportements violents et sectaires, dont l’Hindouisme fut quant à lui coutumier.

Si je respecte les Livres sacrés, notamment ceux qui servent de fondement aux religions dites «révélées» (Judaïsme, Christianisme et Islam), il me semble évident qu’ils ne sont pas l’expression directe et absolue de Ta pensée ou de Ta parole, comme certains fidèles et responsables le prétendent. S’il en était ainsi, cela voudrait dire que tel un Surhomme, Tu les as écrits ou dictés à qui de droit. Outre que cela ferait de Toi un Être anthropomorphique (ce que Tu n’es pas), comment expliquer alors que ces mêmes Livres contiennent autant de contradictions, de désaccords et même d’oppositions ? En réalité, ils ont été rédigés par des hommes (et des femmes ?) qui, aussi intelligents, cultivés et inspirés qu’ils aient pu être, étaient imparfaits et sujets à l’erreur. Ne serait-ce que sur le plan historique, on sait désormais que nombre d’événements rapportés n’ont pas vraiment eu lieu et ont été inventés par les narrateurs, certains n’étant au mieux que symboliques ou allégoriques.

À propos des récits que l’on trouve dans la littérature religieuse, je ne crois aucunement que Tu as créé le monde en six jours, comme cela est expliqué en détail dans la Genèse. À l’aube du XXIe siècle, il devrait sembler évident, à toute personne sensée et capable de réfléchir par elle-même, qu’une telle chose n’a aucun fondement cosmologique ou ontologique. Et pourtant, des millions de fidèles croient encore que c’est de cette manière que Tu as donné naissance à la Création et à tout ce qu’elle contient. Malheureusement, cette croyance erronée sert de base à ce que l’on appelle le «créationnisme», dogme qui est en totale contradiction avec la loi qui sous-tend et justifie Ton Grand Œuvre : l’Évolution. La science a pourtant démontré que l’univers, la Terre et l’homme lui-même sont le résultat d’un processus évolutif qui n’a cessé d’opérer depuis le Big Bang. C’est là l’un des exemples les plus marquants de contrevérités générées par une interprétation littérale des «Saintes Écritures».

Les Livres sacrés

Mais les Livres sacrés, dont on T’attribue en quelque sorte la Paternité, ne se limitent pas à rapporter des événements liés à la manière dont Tu aurais créé le monde, ou à la façon dont telle religion se réclamant de Toi se serait développée, généralement à travers la vie et l’œuvre d’un prophète ou d’un messie, tels Moïse, Jésus, Bouddha ou Mahomet, pour ne citer qu’eux. Ils contiennent également des Commandements que Tu leur aurais transmis de vive voix, à travers leurs rêves, ou selon d’autres voies “miraculeuses”. Sans nier que ces Commandements aient pu être inspirés par Toi, ils portent nécessairement l’empreinte de ceux qui les ont écrits ou exprimés à travers leurs prêches et leurs sermons. Or, si certains d’entre eux sont toujours valables et constituent des repères éthiques, pour ne pas dire moraux («Tu ne tueras point»), d’autres sont devenus obsolètes et ne sont plus adaptés à la société actuelle. C’est ce qui explique leur rejet par un nombre croissant de fidèles.

Qu’ils aient été ou non inspirés par Toi, les Livres sacrés ont été écrits à une époque donnée, dans un contexte socio-historique particulier, et souvent à l’intention d’un peuple déterminé. Il est donc erroné de penser qu’ils sont universels et éternels. Rien ne peut l’être en ce monde, précisément parce qu’il est évolutif et transitoire. Aussi, ne penses-Tu pas que les grandes religions, je pense en particulier au Judaïsme, au Christianisme et à l’Islam, devraient revoir entièrement les textes qui servent de base à leur doctrine et à leur morale ? Une telle révision leur permettrait, non seulement de les expurger de concepts auxquels de moins en moins de croyants adhèrent (Adam et Ève comme couple originel, Satan, paradis et enfer, résurrection des corps, etc.), mais également et surtout de supprimer tout ce qui peut être utilisé par des esprits limités et manipulables pour justifier des comportements fanatiques et intégristes, à commencer par les injonctions du genre : «Tuez les infidèles et autres mécréants !».

Naturellement, je fais partie de ceux et de celles qui sont convaincus que Tu n’as jamais ordonné de soumettre tel pays à telle religion, et encore moins de tuer quiconque au nom de la foi juive, chrétienne, musulmane ou autre. Mais puisque certains de Tes fidèles l’ont prétendu et le prétendent encore, laisse-moi Te faire dire ce Commandement : «Quiconque croit en Moi doit s’évertuer à manifester ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine !». Respect, tolérance, non-violence, bienveillance et amour sont donc les valeurs que tout fidèle a le devoir de cultiver et d’exprimer à travers son comportement. Et s’il se laisse aller à l’irrespect, à l’intolérance, à la violence, à la malveillance et à la haine, c’est uniquement sous l’effet de ses défauts, de ses faiblesses, de son ignorance, voire de sa folie, et en aucun cas à Ta demande ou sous Ton influence.

Si toutes les religions ont généré des comportements fanatiques et intégristes au cours des âges, Tu sais mieux que moi que c’est aujourd’hui l’Islam qui est au cœur de la tourmente : prises d’otages, assassinats, attentats, tortures, viols, autant de crimes plus atroces les uns que les autres commis par des islamistes qui se revendiquent d’Allah, nom que Te donnent tous les Musulmans à travers le monde. Mais Toi, vois-Tu en eux des fidèles de l’Islam ? Évidemment non. Ces terroristes utilisent la religion comme prétexte et sont en fait des idéologues qui dévoient le Coran à des fins socio-politiques et utilisent les sourates les plus vindicatives et les plus ambiguës pour justifier leurs délires, leurs frustrations et leurs fantasmes. On est là dans le domaine de la pathologie, et même de la folie.

Les fanatiques et les intégristes

L’émergence relativement récente des islamistes a fait naître une notion devenue courante, celle de «Musulmans modérés». J’aimerais savoir ce que cette notion T’inspire, car d’un point de vue humain, elle prête, me semble-t-il, à confusion. En effet, elle laisse supposer que les Musulmans que l’on qualifie de «modérés» sont potentiellement non modérés, c’est-à-dire potentiellement extrémistes, voire terroristes, ce que je me refuse à penser. Ce qualificatif est donc quelque peu insultant pour tous ceux qui vivent leur foi paisiblement et dans le respect des lois du pays où ils vivent. Tu auras d’ailleurs noté que l’on ne parle pas de «Juifs modérés» ou de «Chrétiens modérés». Pourtant, il y a parmi eux des fidèles qui font preuve d’intégrisme et de fanatisme. Il est vrai néanmoins qu’ils ne vont pas jusqu’à se faire exploser au milieu d’innocents et n’utilisent pas systématiquement la force pour faire valoir leurs idées.

Mieux que moi encore, Tu as pu constater que les crimes commis par les islamistes ne se limitent pas, et c’est bien sûr le plus grave, à semer la mort, la terreur et le chaos à l’échelle mondiale. Ils produisent également chez nombre de personnes une remise en cause de leur foi et accentuent un processus en cours depuis déjà longtemps : le rejet de la spiritualité et la montée de l’athéisme, notamment en Occident. C’est là un effet pernicieux qui me semble très dommageable, car il favorise le développement du matérialisme et des fausses valeurs qu’il distille dans la société : désir de possession, de richesse, de célébrité, de pouvoir, de reconnaissance, de puissance… Une telle orientation des mœurs ne peut qu’aggraver la situation chaotique du monde et entraîner sa déliquescence à moyen terme.

S’il ne fait aucun doute que Tu es spiritualiste par nature, on peut se demander si Tu es laïc. Je pense que Tu l’es profondément. Pour être plus précis, il me semble évident que Ton but n’est pas et n’a jamais été d’instaurer sur Terre une théocratie et de gouverner le monde à travers les religions. Celles-ci n’ont pas vocation à se substituer aux institutions politiques et aux lois qui en émanent. Jésus lui-même n’a-t-il pas déclaré : «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu !» ? Autrement dit : «Ne mélangez pas le matériel et le spirituel !». Je regrette néanmoins que dans certains pays, la laïcité soit utilisée par des laïcistes pour combattre la spiritualité en général. À Tes yeux, valent-ils mieux que les intégristes religieux qu’ils s’emploient à fustiger, non sans se livrer à toutes sortes d’amalgames ?

Plus que quiconque, Tu sais qu’aucune religion ne détient le monopole de la foi, et encore moins celui de la vérité. De même, aucune n’a Ta préférence. C’est donc une hérésie de prétendre que l’une d’elles, à l’exclusion des autres, est destinée à dominer le monde. Ce genre de visée expansionniste a fait son temps et nous ramène à une époque où les religions se préoccupaient davantage du pouvoir temporel que des questions spirituelles. Plus que jamais, ceux qui ont foi en Toi et veulent œuvrer à l’avènement d’un monde meilleur pour tous doivent se sentir aussi bien Juifs que Chrétiens, Musulmans, Bouddhistes et autres. Ce n’est plus Yahvé, Dieu le Père, Allah, Brahma ou Autre qui doit avoir l’exclusivité dans leur cœur et dans leur âme ; ils doivent s’ouvrir à Toi, le Dieu de tous les hommes et de toute vie.

L’idéal, me semble-t-il, serait que les plus hauts responsables des grandes religions actuelles accentuent le dialogue inter-religieux et accélèrent l’émergence d’une Religion universelle dans laquelle tous les fidèles (pas nécessairement tous les croyants) puissent vivre leur foi en commun. Si je précise «accélèrent», c’est parce que sous l’effet de la mondialisation et des mélanges entre nationalités, ethnies et cultures, une telle Religion en viendra nécessairement à prendre forme. Ce n’est qu’une question de temps ; dès lors, autant faire en sorte qu’elle advienne le plus tôt possible et favorise le rapprochement entre le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam et autres religions. Cela suppose de réfléchir dès à présent à l’élaboration d’un enseignement universel pouvant répondre au besoin de croyance de leurs fidèles, sans distinction. Et puisque Toi, le Dieu unique auquel ils croient, est le même pour tous, comment pourrais-Tu être opposé à la perspective qu’ils Te vénèrent un jour à l’unisson d’un même credo ?

Vers une religion universelle…

Est-ce à dire que l’avènement de la Religion universelle à venir marquera pour l’humanité le summum bonum de son évolution spirituelle ? Toi seul le sais ! En ce qui me concerne, je pense qu’elle ne constituera qu’une étape dans le processus qui doit mener graduellement les croyants à s’élever individuellement et collectivement vers une spiritualité non religieuse, dénuée de tout dogme, fondée davantage sur une ontologie que sur une théologie. Ce processus nécessitera beaucoup de temps, mais ce n’est pas à Toi que je vais apprendre qu’il a fallu plusieurs millions d’années pour que l’être humain émerge du règne animal et devienne ce qu’il est aujourd’hui sur les plans physique et mental. Quoi qu’il en soit, il viendra un moment où les religions, telles que nous les connaissons actuellement, n’auront plus cours et seront considérées comme «antiques», à l’instar aujourd’hui de celles qui étaient suivies dans l’Antiquité.

Je ne voudrais surtout pas donner l’impression que j’éprouve du ressentiment à l’égard des religions et de l’idée qu’elles se font de Toi, même si je ne la partage pas. Certes, je pense qu’elles devraient revoir leur doctrine et leur morale, mais elles ont toujours leur raison d’être, ne serait-ce que parce qu’elles répondent encore à la foi de milliards de croyants. Je sais également qu’elles intègrent des courants ésotériques très riches en connaissances et en sagesse, tels le kabbalisme, le gnosticisme et le soufisme. Par ailleurs, elles ont accompagné et inspiré le développement de l’art, de la littérature, de l’architecture et autres domaines qui font partie intégrante de la tradition, de l’histoire et de la culture. Il est vrai qu’elles ont été une source de conflits et de guerres, mais la politique l’a été tout autant, si ce n’est plus. Et paradoxalement, les Textes sacrés, et davantage encore leurs exégèses, contiennent un grand nombre de messages de tolérance et de paix.

Comme cela est demandé à tout membre de l’Ordre de la Rose-Croix, sois assuré que je me fais un devoir de respecter toutes les religions et de mettre en exergue les valeurs les plus positives qu’elles véhiculent à travers leurs credo respectifs. Un article du code de vie rosicrucien énonce d’ailleurs : «Respecte toutes les croyances religieuses ou philosophiques, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à la dignité humaine». Mais je pense que les temps sont venus, en ce début de XXIe siècle, de repenser la manière de Te concevoir et, par là même, le message que doit transmettre la Religion en général. En fait, j’ai l’intime conviction qu’il est devenu nécessaire de passer de la religiosité à la spiritualité, c’est-à-dire de la croyance à la connaissance. Mais c’est là un autre sujet…

Si je me suis adressé à Toi d’une manière quelque peu anthropomorphique, le Rosicrucien que je suis Te conçoit plutôt comme l’Intelligence absolue et impersonnelle qui est à l’origine de l’univers, et qui opère à travers lui, et par extension à travers la nature et l’homme lui-même, au moyen de lois naturelles, universelles et spirituelles. Et c’est l’étude de ces lois plutôt que celle des textes que Tu aurais inspirés qui retient mon attention et mon intérêt. Il est vrai que cette conception de ce que Tu es a une connotation plus scientifique que religieuse, mais la science, dans son expression la plus humaniste, ne s’oppose pas à la spiritualité. Dans une approche différente mais complémentaire, elle est également une voie de connaissance. Peut-être même apportera-t-elle un jour la preuve de Ton existence ?

Dieu, voici donc les quelques réflexions que j’ai souhaité partager avec Toi et avec ceux qui auront bien voulu prendre connaissance de cette lettre. J’ai bien conscience qu’elle ne T’apprendra rien et qu’elle semblera puérile à certains. Mais d’autres y trouveront peut-être un intérêt, voire un écho à leurs propres interrogations. Ce qui est certain, c’est que ceux qui croient en Ton existence devraient avoir à cœur d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes et mettre leur foi au service des valeurs les plus nobles que l’on puisse concevoir en ce monde. Toutes religions confondues, telle est la condition pour que l’idée que leurs fidèles se font de Toi bénéficie à toute l’humanité et la rende heureuse sur tous les plans.

Dans les liens de la spiritualité et le respect de la laïcité,

Sincèrement.

Serge Toussaint

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